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9 décembre 2008

De l'Expressionisme au Réisme

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Textes de Goll

Version française du Manifeste paru dans Die Aktion n° 45-46, 17 novembre 1917 publiée dans Résurrection n°4 - Namur 1918

 

Appel à l'art par Ivan Goll

 L'art n'est pas un métier. L'art n'est pas un destin . L'art est amour.

 L'amour exige l’amour, est une question bilatérale. L'art exige le public, est une question publique .

 L'art devient aujourd'hui une charitable occupation sociale.

 C’est pourquoi, artiste, entre dans le peuple et montre lui ton grand coeur. Tes appels aux hommes, tes discours seront des poèmes.

 Tu as l’ultime moyen de l'amour : tu as Dieu. Ainsi qui que ce soit, le cocher de fiacre comme le haleur de bateaux, ils t'entendront et devront croire,. Ton travail est combat : combat contre le l'inertie et le crétinisme ; combat contre la nullité et la nuit.

 L'homme a inventé les étoiles.

 Avant tout, cependant, combats contre toi-même : contre l’atavisme que tu portes en toi. Avant tout, artiste, distingue-toi du "talent" en ce que tu ne sois plus égoïste.

Le lyrique de son " moi " ment, qui se sépare de l'humanité et arrose sa douleur imaginaire d'eau de rose.

 Le peintre ment, qui s’enserre en miniatures et portraits bourgeois : il n'a pas de grand cœur, de coeur ouvert, pas le geste divinement large .

 Ne t'étonne pas, toi, petit érotique centrifuge des ateliers-bohémiens et des cafés, que l’on ne te comprenne pas : tu n'as pas d'amour.

 Celui qui a un cœur se place devant les hommes, se dresse et il dit la douleur des millions qui souffrent autour de lui.

 Celui-là bâtit des temples, des halles spacieuses, des jardins infinis, des paradis ; les voûtes circulaires de la maison du peuple - où des hommes-frères se coudoient et souffrent ensemble ; des tribunes d’où la vérité rouge est versée dans le monde noir, sans égard ; - la vérité, une soif corrodante plus difficile à supporter qu’aux yeux des hommes le soleil liquide.

 Le peintre montre en des fresques éclatantes la sublime vocation de l'humanité : le grand, l’irisant humain, l ‘a allégorie éternelle de la beauté.

 Et toi, poète, n'aie pas honte de souffler dans la trompette . Viens avec la révolte. Roule le tonnerre dans les petits nuages de la rêverie romantique, jette l'éclair de l'esprit dans la masse . Cesse les tromperies doucereuses et les légers désespoirs des pluies et des fleurs au crépuscule.

 Il nous faut de la lumière : lumière, vérité, idée, amour, bonté, esprit !

 Chante des hymnes, crie des manifestes, forge des programmes pour le ciel et la terre. Pour l’esprit !

 Artiste, présente-nous ton grand coeur. Entre sur tes ailes dans le peuple sourd et muet . Entre dans les chambres, où suinte la fièvre puerpérale, des jeunes mères, dans les hôpitaux retentissant de cris écoeurants, remplis de mourants, d'espérants ; entre dans les prisons sans air, dans les casernes lourdes de colères, dans les palais de justice et les asiles de vieillards.

 Souris toujours, et pardonne, comme l'ange, à l’inconnu. Aussi mauvais, aussi profondément sourds qu’ils puissent être - d’autant plus beau, d’autant plus élevé et plus limpide soit ton chant ..

Artiste - amour !

 Iwan Goll

 

Appel à l'art par Ivan Goll  version trouvée à Saint-Dié

 

L'art n'est pas un métier. L'art n'est pas un destin . L'art est amour.

L'amour exige la réciprocité, il est bilatéral.

L'art exige un public.

Aujourd'hui, l'art devient une activité sociale, un acte d'amour.

Artiste, va dans le peuple et montre lui ton grand coeur. Tes appels à l'Homme, tes discours populaires , ce seront des poèmes. Tu as à ta disposition le moyen suprême de l'amour : tu as Dieu. C'est pourquoi ils t'écouteront et devront te croire, quels qu'ils soient, le cocher de fiacre ou le marinier. Ton travail est combat : combat contre le sommeil et l'inertie, contre le néant spirituel et la nuit. L'homme a inventé à son usage les étoiles.

Mais avant tout, combats contre toi-même : contre la pesante hérédité que tu portes en toi. Et surtout, Artiste, distingue-toi du "talent" en ceci , que tu n'es plus un égoïste.

Il ment, le Lyrique égotiste, qui ce scinde de l'humanité et asperge d'eau de rose sa douleur imaginaire.

Il ment, le Peintre, qui fait entrer son moi dans des miniatures et des portraits personnels : il n'a pas le coeur grand, le coeur ouvert, il n'a pas le geste rempli de Dieu.

Ne t'étonne pas de rester incompris, toi le petit Erotique centrifuge, des ateliers de la bohème et des cafés, toi le génie méconnu ; tu n'as pas d'amour.

Celui qui a un coeur, il l'ouvre en grand , à la face des hommes , et il dit la souffrance des millions qui gémissent autour de lui. Il construit des temples, des salles immenses, des parcs infinis, des paradis gazouillants , les coupoles arrondies de la maison du peuple , où les hommes fraternels souffrent ensemble. Des tribunes du haut desquelles la rouge vérité sera semée sans pitié dans le monde noir, vérité, une sainteté qui corrode, plus difficile à supporter par les yeux humains que le fluide du soleil.

Le Peintre montre en fresques émouvantes la grande vocation de l'humanité : l ‘Homme Arc-en-ciel , l'allégorie éternelle de la beauté.

 Et toi, Poète, n'aie pas honte de souffler dans le ridicule trombone. Accours avec la tempête. Fracasse de ton tonnerre les petits nuages de la rêverie romantique, jette l'éclair de l'esprit dans la foule. Abandonne les délicates illusions et les désespoirs faciles du temps de pluie et des fleurs de crépuscule.

Nous avons besoin de lumière : Lumière, Vérité, Idée, Amour, Bonté, Esprit !

Chante des hymnes, crie des manifestes, fais des programmes pour le ciel et pour la terre. Pour l'Esprit !

Artiste, fais-nous don de ton grand coeur. Avec tes ailes, descends dans le peuple engourdi et pauvre. Entre dans les chambres des jeunes mères, dans les hôpitaux parcourus de cris, pleins de mourants, mais aussi d'espérance, pénètre dans les cachot étouffants, dans les casernes pavées de colère, dans les palais de justice et les asiles de vieillards.

Souris toujours, et pardonne, comme l'Ange , le non reconnu.

Plus ils sont méchants et avilis et inertes, plus ton chant doit être beau, élevé, clair.

Artiste, aime !

 Yvan Goll

 

Le Cœur de l'ennemi

 

 

C’est la nuit Européenne. Les peuples marchent à tâtons. Forêts de méfiance. Broussailles du mensonge. Et les précipices du meurtre, les gouffres de la maladie et de la faim

 A qui s’en remettre, si ce n’est au Poète, le Nouvel Orphée! Qui, sinon lui, imposera le silence aux chacals de la civilisation et entraînera les brutes montées sur rails de canons vers les horizons du Grand Printemps de l’humanité ?

 Entendez-le, hommes de la terre: le chant de son âme éternelle auréolera vos fronts assombris. Ah, je sais bien, vos propres frères, vous les bannîtes, les aigles de la liberté, vous n’en vouliez voir l’ombre dans la cage étroite de vos frontières.

 Or comment boucher plus longtemps vos oreilles épaisses à la voix cristalline du poète, qui est l’enfant d’un nouveau siècle?

C’est votre propre voix intérieure. Vainement vous irez encore vous retrancher dans les bas-fonds du terrain ensanglanté : elle vous poursuit comme une cloche folle à travers la nuit et les bombardements.

Cette cloche est suspendue sur l’Europe entière : inutile de la fuir. Inutile aussi de vouloir la détruire : il faudrait escalader le ciel de feu, et vous vous y brûleriez l’âme et le coeur.

Vous ne lui échapperez point!

 Ah, mais c’est un son étranger ! Frères, c’est un chant de l’ennemi. Malheur à lui ! direz-vous. Mais il chante, le Poète, le " Vates ", l’homme éclairé, et il érige un dôme en granit gothique !

 Quel ennemi donc, mes frères? J’entends sa voix, je l’entends qui pleure le meurtre de ses pères et de ses fils. C’est l’ennemi de votre malheur, c’est votre ami !

 Attendez encore un instant, ne fermez point la page, ayez foi en l’Homme qui parle à l’Homme. Ecoutez une strophe seulement, un instant seulement, moins long que quand vous attendiez le train des blessés, et vous vous jetterez en sanglotant dans les bras de celui, qui n’a plus de visage, plus de bras ni de jambes: mais son coeur pour pleurer avec vous.

 Ah, vous qui fûtes sourds pendant si longtemps : quand ils chantèrent dans un désert, il vous fut impossible de les entendre car la caravane des armées passait, passait et tuait leurs voix.

 C’était là-bas comme chez vous. Les poètes allemands restèrent seuls dans la clameur. N’est-il pas grand temps que tu les recueilles, Peuple-Victoire ? N’est-il pas temps, que tu saches, que lors de la bataille de la Marne, un soldat allemand s’écria tout haut et fit insérer en Septembre 1914, dans la revue " Die Aktion ", en plein Berlin: 

 Mon coeur est grand comme l’Allemagne et la France réunies!

 Il est temps, Christ-Français, que tu embrasses l'Allemand-Judas. Le Messie, mon frère, frappe tous les jours à ta porte. Il est temps, Homme, que tu le reconnaisses et le bénisses !

 Ouvre! Aime! Souris ! 

 Ivan Goll

Les Humbles. Directeur Maurice Wullens Cahier n° 12 - Avril 1919

 

 

Manifeste Zénitiste

Chaque matin à cinq heures, partout, sur tous les cinq continents, le même Journal élève sa tête gris de nuit et crie les mensonges noircis du monde :

CONFERENCE DE LA PAIX - UN MEURTRE DANS UNE CREMERIE - SUICIDE DANS LE COEUR D'UNE ADULTERE - ACHETER LES LAMES GILLETTE - BERGSON A CHICAGO - VOTEZ POUR NERON !

ALLOOO !!

O chers Européens aux fronts bas, femmes aux corsets trop étroit, enfants qui jouez au cheval de Troie : ennemis, ennemis entre vous, frères ennemis, pères ennemis : vous tous, qu'on appelle les élus de la création, qui portez des couronnes de papier sur une tête coiffée à l'américaine : O socialistes, o royalistes, prolétaires en guenille dans les mines, banquiers souriants de Londres.

 Oh !

Non, ce n'est pas vrai, nous ne vous aimons pas ! Non, mes frères aux crânes de poire, professeurs abêtis, fonctionnaires alcoolisées, médecins de la peau et de l'âme : non !

Nous vous haïssons haïssons haïssons !

Mais nous voulons arracher les masques de ce carnaval capitaliste de vos visages, nous allons vous dépouiller de vos habits cyniques et de vos feuilles de lierre, nous allons inonder de blasphèmes votre cerveau séché comme une vieille éponge et votre coeur endurci comme un petit pain d'avant-hier.

 ALORS

vous tous, animaux-nés, criminels-nés, militaristes-nés ! O nations grandies par les chants de guerre d'Homère à Marinetti, o civilisations statuées par les Bibles, les Grammaires et les Codes Pénaux : peuples ! par dessus vos casernes et vos palais de justice, qui portent la devise humoristique : LIBERTE, EGALITE, FRATERNITE en lettres d'or ; par dessus vos murailles chinoises et vos morales turques

Nous vous montrerons le

 ZENITH

nous ferons éclater le

 SOLEIL

des cataractes de vérité, des millions de volt de lumière céleste .

Nous vous offrons

LA MACHINE A PENSER

DE TOUTE PREMIERE QUALITE DIPLOMEE

LE SOLEIL LIQUIDE

dans des boîtes de lait condensé :

LA VERITE.

Non, non, Non : nous ne venons pas vous embrasser : mes frères : o cyniques, imbéciles, politiciens, académiciens et syphilitiques : o sentimentaux nationaux !

Il n'y a pas d'arbres généalogiques

il n'y a plus de tradition

il n'y a plus de nations

MAIS DES HOMMES

On n'est plus Français , Serbe, Nègre, Allemand ou Luxembourgeois

EUROPEENS !

Voici le Trust de la Vérité

 ZENITH

Nous allons laver vos cerveaux et vos coeurs avec du radium, de l'ozone et de l'hydrogène, nous vous apprendrons, hommes de toutes les races, à marcher nu-tête : sans casque ni haut-de-forme, ni feutre, sans avoir peur de la Vérité, droit dans le SOLEIL !

 Ivan Goll

Lumière -2ème année - n° 11- 30 Juin 1921 - Anvers

 

 

 

L'Expressionnisme meurt

 "Le bruit en court de toute part, on en rit, on le pressent : une fois encore, un art meurt parce que notre époque le trahit. Que ce soit la faute de l'art ou de l'époque, peu importe. Si l'on voulait faire preuve d'esprit critique, on pourrait, il est vrai, démontrer que l'expressionnisme crève, empoisonné par l'appât révolutionnaire dont il voulait être la Pythie maternelle.

 Et ceci éclaire cela, à savoir : que l'expressionnisme (1910-1920) n'était pas le nom d'une forme d'art mais d'un état d'esprit . Le pivot d'une philosophie, bien plus que l'objet d'un besoin artistique.

Ludwig Rubiner : "Le peintre intervient dans la politique" ( Die Aktion , 1912 )

Le même : " Notre appel pour le temps qui vient, ce sera, par delà tous les pays , "L'homme pour l'homme", au lieu de la vieille formule "L'Art pour l'art" (Zeit-Echo, Mai 1917)

 Kasimir Erdschmidt : " … Pas de programme de style. Un problème de l'âme. Une chose de l'humanité." ( Neue Rundschau, Mars 1918).

 Hasenclever : " que la scène devienne expression et non jeu ! La scène pour l'art, la politique et la philosophie." (Schaubühne, Mai 1916)

 Donc : Revendication, manifeste, appel, accusation, exorcisme, extase, combat, l'homme en marche, nous existons, tous ensemble, Pathos .

 Qui n'y participait pas ? Tous participaient. Je participais: "Nouvel Orphée . Pas un seul expressionniste n'était réactionnaire. Pas un seul qui ne fût antibelliciste. Pas un seul qui ne crût à la fraternité et à "l'état d'esprit "

 Et l'expressionnisme était une belle, bonne et grande affaire . Solidarité de l'esprit. Marche en avant de la véracité .

 Mais le résultat, malheureusement, et sans que ce soit la faute des expressionnistes, c'est la République de 1920 . Enseigne de boutique, Entracte, la sortie est à droite s.v.p. L'expressionniste ouvre la bouche …et la referme aussitôt .

 L'arme, à savoir le trombone, tombe des mains des prophètes meiduériens ( Meiduer, peintre expressionniste allemand) de l'Europe.

 Celui qui jetait les bras en l'air avec tant de sérieux et d'importance, les lève à présent pour une toute autre raison: le browning claque.

 Mais oui, mon bon frère expressionniste : prendre la vie trop au sérieux c'est aujourd'hui le danger. La lutte est devenue une farce. L'esprit, en cette époque des chevaliers d'industrie, est "L'intellectuel" qui élève son "état d'esprit" jusqu'au bolchevisme est obligé de se faire petit devant les masses, tout petit, et même peut-être, de poser sur son front juif un masque de bêtise, pour que les pierres lancées ne lui brisent pas les dents.

Amère, amère devient la bouche de l'extatique.

L'homme "bon", avec un salut désespéré rentre dans la coulisse. La vie, la machine, la nature, ont raison contre lui : par delà le bien et le mal.

 C'est la force "Belle" à laquelle Alexandre BOK, le premier dans les temps modernes a voué les "Scythes". L'homme originel, avec son obscur sang séculaire et ses yeux effrayants, sort des forêts équatoriales et des steppes polaires, avec les mystères de la lune et du soleil. Il danse au-dessus des méridiens du globe.

 L'appel au frère, ô expressionniste, quelle sentimentalité ! Que de pathos dans ton humanité .

 La vie toute nue vaut mieux, je veux dire : elle est plus vraie que Toi.

 Preuve : ta conception du monde n'a triomphé nulle part. Tu n'as pas sauvé une seule vie sur soixante millions, "l'homme est bon" une phrase "mais dans mille ans peut-être".

 Une nouvelle force semble se déchaîner sur nous : l'automatisme du cerveau. La grue du temps nous saisit au collet et nous transborde . On se prend aux cheveux : "Seigneur Dieu, quel rythme monte de la Terre ! A quoi bon divaguer dans le ciel ? Le ciel aussi est terre, comme le sait tout aviateur. Le ciel est terre, depuis longtemps, pour le nègre et le primitif.

 Mais ils ont peut-être raison. L'américain nous dit : "Yes, perdez cette sentimentalité, vous les allemands, ce qui signifie : "vous, les expressionnistes". Car, parions-le : LUDENDORF aussi, finalement, est un expressionniste ?

 En France où je vis, on n'est pas devenu sentimental pendant la dernière guerre (excepté trois nouillards qui comptent à peine). De nouveaux pays, derrière l'Oural, derrière les Balkans, derrière tous les Océans, crient leur volonté de vivre et d'être forts. Des pays jeunes, des hommes jeunes. Le premier mot qu'ils nous adressent est un choc électrique."

(traduction de L'Expressionnisme meurt) SDdV

Zenit I - n° 8 - Octobre 1921. Revue internationale yougoslave :

Iwan Goll : Der Expressionnismus stirbt (l'Expressionnisme meurt) p. 8 / 9

 

 

 

 

Simplicité, à mes contemporains

 

«...le début de la révolution spirituelle date de 1910, et le 9 novembre n'a été que le sismographe des âmes...... .Ainsi cette jeunesse n'est pas passée par une évolution. Tout un chacun trouvait, dés son premier livre le ton juste: Trova! Et dans le deuxième, le quatrième volume, cela s'appela: Expressionnisme . On ne peut plus séparer celui-ci de la Révolution. Et il reçut, en même temps que la Social-démocratie, à un moment déterminé, l'approbation et la bénédiction bourgeoises. Du coup, il est probablement mort, car, que signifie la révolte sans une réaction, une attaque, sans un ennemi? Vous, les expressionnistes acceptés par tous les théâtres municipaux et par tous les éditeurs, magnifiquement loués dans la presse et bien vendus: votre succès, c'est votre défaite. Votre arme rouge, soudain, ne frappe plus que de l'air bleu. Le commerce marchera pendant quelques années encore (il ne fait que commencer), mais la Poésie n'en profitera plus, et c'est pourtant ce qui importerait! …

Du quotidien le plus ténébreux, du plus douloureux combat contre toute la saleté terrestre, est montée, purifiée, la grande connaissance de l'amour humain tout-puissant … Que ces Hommes véritables se rassemblent maintenant, qu'ils agissent, qu'ils soient.

 "Etre ", c'est le plus important …

…Si le véritable expressionnisme a été la Révolution de l'époque, et si l'on peut mettre à égalité les résultats de l'un et de l'autre, alors nous nous trouvons en face d'un terrible fiasco. Car on n'a rien atteint. Le bourgeois, l'éternel bourgeois, vit naturellement, plus gras que jamais …Mais l'essentiel est-il arrivé? L 'Homme est-il devenu plus libre d'un côté, meilleur de l'autre? Au contraire …

Assez de politique. Nous avons tous "embrassé les millions ". Pendant dix ans nous n'avons plus parlé des forêts mais de l'humanité …

Après ce vacarme de grosses-caisses, de trompettes et de gongs, après cette tempête cosmique et cette volonté surhumaine de l'expressionnisme, nous devons faire le silence total. Le silence pour pouvoir écouter le battement de notre cœur, savoir s'il est encore là et s'il n'a pas éclaté à force d'un incommensurable amour pour l'humanité. Faire le silence. Devenir solitaires. Simples, simples …

Chaque être humain est lui même fautif de son destin. C'est dans le seul individu que se cachent toutes les valeurs . Dans chaque existence. Et chacun doit fleurir sur sa propre racine …L 'Homme est une partie du monde, comme la fleur et l'étoile. Tout est un, et l’un est aussi précieux que le Tout.

C'est ainsi que chacun doit maintenant se réconcilier avec lui-même. Devenons silencieux, solitaires, simples. A présent commence, pour nous qui étions inachevés, l'évolution. Recommencer du début. Jusqu'ici, nous n'étions, tous ensemble, qu'une génération: à présent, nous devons devenir des personnalités. »

Ivan Goll

La Revue Rhénane - 2 - n° 1-1er Janvier 1922

 

Zenit II - n° 11 - 19 février 1922 Internacionalna Revija a za novu umetnost.

De la même façon qu'il avait lui même été présenté dans le numéro 1 par Bosko Tokin, Goll présente ici, en français page 4, 3 poètes : Reverdy, Pierre Albert-Birot et Jean Cocteau. Le poème en prose de P. A. - B. "Poème sans Nom" est inédit

Baromètre Lyrique de 1921

Le mercure atteint des altitudes vertigineuses - sans cependant effleurer un aigle dans son vol. Les ailes de chaleur battent lentement. Parfois une étoile éclate comme un bouton de pivoine. Alors il pleut un peu de feu. Les hommes croient en l'amour des comètes. Mais au fond, Dieu est géométrique, et tout sentiment est une sentimentalité de plus. Einstein apparu, à quoi bon les poètes ? Je leur préfère une limousine Pic-Pic ultramarine. C'est affaire de goût, direz-vous ? Non, c'est affaire des affaires : et dans ce cas, vous n'êtes simplement pas commerçant.. Moi non plus, rassurez-vous ; car alors je n'écrirais plus cet article.

Les poètes qui n'obtiennent pas de prix nationaux, sont toujours les plus grands. Mais ceux qui n'atteignent pas les prix de libraires ?

Voici Pierre Albert-Birot, qui depuis dix ans imprime tous ses volumes à ses frais. A 125 exemplaires seulement, et il en reste ! Pauvre France. Les spéculateurs de la Royal Dutch ferait mieux d'acheter « la Triloterie » ou les « 31 poèmes de poche » : en 1950 ces livres seront au pair. Et Birot sera un grand lyrique français, comparable à aucun de ses compatriotes, mais assimilable seulement à Ho-Kon-Saï. Il est le premier de sa nation, qui aura trouvé une simplicité sans recherches et fera enfin oublier les abracadabrances hugolâtres de certains vers-libristes encore et je l'oppose en ceci à beaucoup de soi disant vers-libristes qui ont cru devenir simples en se mettant en bras de chemise. Or lui reste sublime : et l'atmosphère autour de ses vers est captée à 20000 km d'altitude dans des flacons de radium.

Un autre riche poète, qui est un poète pauvre : Pierre Reverdy, est obligé, pour voir ses vers imprimés noir sur blanc de se faire saigner par les spéculateurs de papier. C'est l'épaisseur du papier, Lafuma la netteté du caractère 8 ou 12, le renom de Monsieur Galanis qui permettent au poète de publier un livre. "Etoiles peintes" et "Coeur de chêne" sont nés dans ces conditions commerciales. C'est une honte. - Le poème de Reverdy est de l'eau, par opposition aux formes parnassiennes par exemple, qui étaient de bronze ou ceux des symbolistes en nickel. Reverdy fait faire à la matière de ses vers des détours chimiques pour revenir, à l'instar de dieu, à l'image primitive, qu'est la « chose en soi ». Son eau, devient tantôt glace, limpide et froide, tantôt vapeur et nuage et pleine d'âme : en fermant le livre, on a de l'eau dans la bouche, mais en effet, de la source la plus pure. Désaltéré, on a un sentiment de bien-aise : c'est tout, c'est beaucoup, c'est même l'essentiel ; et cependant, il ne vous reste rien pour demain, rien à réciter en une heure plus triste et torride, rien pour la nuit après les cauchemars qui sèchent le gosier.

Voici Jean Cocteau, alias Cocktail, qui pendant les chaleurs manie le chalumeau. On va au bar « du Boeuf sur le toit » pour un ice-cream de couleurs citron. Ensuite on peut monter en dirigeable. Ou bien, l'on monte simplement sur la « Tour Eiffel », pour le dessert d'un dîner de noces. La pièce montée en glace : acacias vert-pistache, marguerites blanches - pôle Nord, et la rose de France, qui il cueillera à sa boutonnière. Les vers de Cocteau sont fins comme les colliers de perles de Pearl White. Son printemps ne vient pas d'Arcadie, mais d'une serre assez proche de Paris. Et pourtant, l'on dirait des étoiles véritables . Reverdy a trouvé le mot : étoiles peintes. L'âme en carafe sur les terrasses des cafés : ne va-t-elle pas s'évaporer à l'approche de l'automne ?

 Tous ces trois poètes nous donnent des couleurs. Les parfums emplissent les métros, à s'en trouver mal. Qui donc, qui donc fabriquera le flacon pour les capter ? On chuchote derrière-moi ; la fo-o-rme ! On ne le chuchote pas, ça se claironne . Alors je m'en vais dans les usines à haute tension. Les dynamos, tournesols d'acier reliés au soleil par des courroies .

 Un ingénieur me salue : Nicolas Beauduin. Il a des journaux en main, des calculs, des bulletins de bourse, des indicateurs de chemins-de-fer, des cartes de navigation . Il me conduit dans son bureau qui est tout construit en verre . Les Grands Livres de la vie: en gros caractères. Et voici l'échelle : poésie sur trois plans . C'est la systématisation de l'effort. Rubriques. Doit. Avoir. Prismes . Dissection des valeurs de nature, de cœur et de science dans les trois plans préétablis. C'est du travail féroce et durable . C'est une charpente en béton armé.

Industrie colossale. Usine de sentiments. Seulement, nous sommes à une époque de grève. Les bâtisseurs chôment. Les murs nus implorent le ciel. Les briques cuisent à petit feu, dans leur jus. Les machines se détériorent dans le sang des peuples et rouillent. Il manque l'aménagement. Les fauteuils de cuir dans les bureaux. Les glaces dans l'ascenseur. Les fenêtres ne protègent pas la faïence du ciel des crachats impatients du directeur. Tout est en chantier . Chez le concierge , il y a quelques fleurs écloses. Attendons, patience : devant toute nouvelle bâtisse, nous avons un geste d'espoir, mais nous doutons de nous et regardons nos enfants, qui jouent à l'aéroplane. De cette grande usine sortiront les flacons de cristal, qu'un autre printemps remplira de violettes .

Ivan Goll

Zenit II - n° 11 - 19 février 1922 Editeurs : Ljubomir Micic et Ivan Goll

 

 

Il n'y a plus de drame .

Destin ? Conflits ? Aujourd'hui, cela n'existe pas. Tous les efforts des hommes se tendent vers la pomme de terre ou la villa. Le commis-voyageur est parfaitement émancipé. Celui qui est cultivé, naturellement. Dieu n'est plus un sujet de conversation. Pour quoi donc doit-on se battre ?

Patrie : est supprimée. Père, épouse, fiancée, famille : pas un conflit qui ne nous fasse hausser les épaules. Aimez-vous, enfants, mais ne devenez surtout pas sentimentaux.

Le "fils" n'est qu'une histoire de (pénis), comme tout l'expressionnisme, ou ce qui se nomme ainsi.

Qui serait ému par un enfant illégitime ? Ou par un avortement ? Il y a tellement de policliniques … Quel acte passionnel ? La jalousie, ridicule. La haine ? Impossible, depuis que " l'homme est bon ". Ah ! Le drame révolutionnaire ? cela n'existe pas. La seule révolution qui puisse compter, de nos jours, est économique, ce n'est pas celle du courage et du cœur. Le petit mot "rouge" est même déjà devenu de mauvais goût. Des ouvriers dans une rue devant des mitrailleuses ? non-sens complet. Lénine était un joueur de poker diplomatique. En quoi peut-il intéresser le dramaturge qui a besoin d'un héros. Toller est grand en prison, mais ennuyeux sur la scène, comme un journal.

Il ne peut pas y avoir de drame aujourd'hui !

Pour cela, les hommes sont tombés bien trop bas, devenus trop immoraux, trop veules, trop irresponsables, trop vite prêts au compromis. Et le compromis est le cyanure de potasse du drame. L'époque est trop mercantile.

Il ne sert même à rien de maudire et de s'irriter !

Que reste-t-il ? A ridiculiser l'époque. L'ironie, salée, dure, méchante.

La cravache. L'implacabilité. Le scalpel jusqu'aux os. Les culottes arrachées. La honte exposée et raillée ouvertement. La vengeance saine des enfants qui jettent des pierres. A bas le bourgeois. Mettez son parapluie en pièces ! Cela, par Dieu, n'est pas dramatique. Mais on en rit soi-même à mort, et la mort est la dernière chatouille qui puisse encore venir un peu à bout de notre ennui.

(S.D.d.V. traduction de "Es gibt kein Drama mehr": Die Neue Schaubühne, 1er Heft, 1922 p.18):

 

Ivan Goll : Les Théâtres d'avant-garde

« On parle à Paris de "théâtres d'avant-garde". Que signifie ce terme ? Quatre théâtres réguliers et pauvres, et une douzaine de compagnies et plus pauvres encore se parent de cet attribut révolutionnaire, épatent le bourgeois et l'affolent, et font battre les tempes aux jeunes auteurs. Tout cela est très beau et très amusant. Mais quel est le résultat ? 

D'abord, un théâtre est-il déjà "d'avant-garde", lorsqu'il emploie des décors simplifiés, stylisés ou synthétiques, à la manière de Rheinhardt, Taïroff ou Jessner ? La façade intérieure, notamment au théâtre, joue un grand rôle. Le geste imite une petite révolution intestine.

Est-on, d'autre part, "d'avant-garde" parce qu'on joue des jeunes, des injoués, des inconnus ? C'est ce que les directeurs parisiens s'imaginent. Aussi le terme "d'avant-garde "a une signification très restreinte.

Or, le théâtre nouveau doit être en corrélation avec toutes les autres manifestations de la vie nouvelle. Il doit avant tout signifier rythme nouveau. Il doit être trépidant, direct, exploser, être bourré d'action comme un moteur d'automobile.

Ce qu'il faudrait, c'est du théâtre actif et intensif. C'est un dialogue vif et nerveux. C'est du tragique à outrance. C'est le sentiment humain vu au verre grossissant, comme au cinéma on voit les insectes infimes nager dans une goutte d'eau. C'est la projection du tout petit état personnel sur l'écran des sentiments communs de l'humanité.

Une seule époque théâtrale réussit ce grand art tragique, ultra-tragique: celle des Grecs. Leurs personnages, qui portaient masque et cothurne, étaient grossis et grandis dans le temps et dans l'espace. Et c'est d'eux que notre époque moderne devrait s'inspirer directement.

Entre les Anciens et les tous derniers chercheurs de grandeur théâtrale, il y a un trait d'union : entre Aristophane et Jarry, il y a bien des points de contact.

J'ai nommé Ubu Roi. On a trop parlé de cette oeuvre pour que nous nous attardions à en préciser ici les éléments vitaux. C'est le "gros"en comique. Nous attendons maintenant le "gros" en tragique.

Et nous avons pu en sentir certains frissons avant-coureurs chez Pirandello. Dans Six personnages en quête d'un auteur, il y a des frissons dramatiques et mystérieux, qui font bien présager d'un tremblement de terre dans cette région de l'émotion humaine. Toute la pièce est alogique. Le noeud tragique est serré autour d'un événement irréel, ou surréel, ou abstrait, pour amener une comparaison avec les arts plastiques. Les personnages "souffrent" d'une façon inouïe, comme dans les états de rêve. Et ils agissent, parlent, peinent dans la surréalité puisque de prime abord nous savons qu'ils ne sont que des créatures de poète. Donc ils sont des masques. Ils sont aussi peu existants que des dieux antiques. Mais ils nous émeuvent, ils nous secouent par leur force tragique,  par l'élément hautement dramatique que le poète leur a insufflé.

 Gloire à Pitoëff, d'avoir su choisir et jouer cette pièce si parfaitement. Grâce à lui, le théâtre d'avant-garde à Paris a sa raison d'être: il existe. Grâce à lui, et aux poètes qu'il nous a révélés, notamment Bernard Shaw et Tchékhow.

A"l'Oeuvre", Lugné-Poë s'applique depuis plus de trente ans à faire comprendre aux Parisiens qu'Ibsen, Strindberg, Bjoernson ont changé l'aspect du théâtre européen - il reste le seul en France à les jouer régulièrement - et il persévère avec une constance froide à jouer ces "indésirables" parce que "incompris". C'est lui seul aussi qui a fait une belle place aux novateurs belges du mouvement moderne de Maeterlinck à Crommelynck, et c'est lui qui enfin importe l’expressionnisme de Georg Kaiser.

 A côté d'eux, "le Vieux Colombier" ne s'est point donné la peine de découvrir quoi que ce soit. Son avant-gardisme est uniquement attaché à la modernisation (modern-style) du décor et du jeu scénique. Il n'a puisé la plupart du temps, que dans les vieux stocks de la N.R.F., il a déterré Saul de Gide, des choses de Schlumberger et d'autres actionnaires de sa firme, et enfin Vildrac, dont le réalisme langoureux a constamment peur des grandes émotions: petits bourgeois en en bras de chemise, pour qui l'affaire de prendre un billet de bateau est le grand drame de la vie. En dehors de cela, Copeau a repris Mazaud de seconde main, et n'a "découvert", pour la saison nouvelle, que ce pauvre et indigent Imbécile d'un auteur timide et élevé à la camomille.

 Il y a l ' "Atelier". C'est une franche maison. Dullin a même le mérite d'avoir joué Pirandello avant Pitoëff, mais La Volupté de l 'honneur est bien inférieure à l'autre pièce, et son jeu était trop décousu, antidramatique. Mais Dullin a tous les courages et presque aucune peur. Il joue pêle-mêle du drame historique, de la comédie clownesque (Voulez-vous jouer avec moa d'Achard est un petit chef-d'oeuvre), du mélo et du tragique. Un jour il touchera le gros lot. N'a-t-il pas mis en scène cette troublante Antigone de Jean Cocteau, où certains ont beaucoup ri ? On n'y trouve évidemment pas le sens, qui est préconisé en tête de cette étude, de se servir des Grecs. Le public a vu dans cette Antigone moderne une des farces, auxquelles Cocteau l'avait habitué. Cocteau a voulu moderniser Sophocle, le ramener au niveau du spectateur d'aujourd'hui : est-ce sa faute, si l'esprit de son temps l'a forcé à rendre le grand antique plus banal et plus petit ? Faut-il en conclure, que notre époque n'est pas capable des grandes émotions, d'où naissent les grands drames ?

 A part les quatre théâtres cités, diverses "compagnies" comme: la Chimère, le Canard Sauvage, la Grimace, les Escholiers e tutti quanti font de probes essais et jouent chaque année, vers la fin du printemps, les pièces d'auteurs jeunes. Elles ont beaucoup d'idéal, elles ont révélé au spectateur avisé des noms comme André Obey, Denys Amiel, Gabriel Marcel, dont on peut espérer des oeuvres fortes. Pourtant, elles n'ont point poussé l'audace jusqu'à bousculer complètement les formules du théâtre traditionnel. Or, il faudrait qu'un théâtre d'avant-garde eût toutes les ambitions.»

 Ivan Goll

Publié dans La Vie des Lettres et des Arts 9 ème année, volume XV (sans date 1922 ou1923) [1]

Numéro spécial : L'Etat présent des Lettres et des Arts (108 pages)

Peinture : André Lothe, Léonce Rosenberg, Albert Gleizes, A.P. Gallien.

Sculpture : Waldemar Georges.

Poésie : Fernand Divoire, Pierre Bourgeois, Nicolas Beauduin.

Théâtre : Drieu La Rochelle, Fernand Léger, William Speth, André Harlaire, [2]

Ivan Goll : Les Théâtres d'avant-garde, p.71 à 73.

 

 

Changement S.V.P.! Das Kunsblatt 7 (1923) n° 11-12 :

Iwan Goll : Bitte umsteigen (Changement , S. V. P.) Über die Malerei um 1923 (Sur la Peinture en 1923) p. 330, 331

  Et finalement, tombe sur nous aussi le désenchantement. Une averse torrentielle. Le feu d'artifice du début du siècle est terminé. Le tam-tam nègre bat plus tranquillement. Le masque des "Pierrots bleus et roses" cède la place au jazz. L'impertinente brise matinale emporte les grandes phrases. Le cube et le globe font la culbute dans la boîte à ordures.

 

Ce n'est pas tout à fait aussi terrible. Mais, vus de jour, les miroirs sont plus sincères. Le soleil brille dans les Tuileries d'or vert. L'incandescence de la corbeille de Tulipes est bien délimitée au compas. Le Louvre noir de patine s'enracine puissamment dans la terre. Des cubistes y entrent en grimpant par les fenêtres, car ils ont peut-être honte, tout de même, d'y être reçus officiellement : mais ils ne s'abstiennent pas davantage. D'autres se réfugient dans les forêts, aspirent de l'air et de la lumière au bord de la Méditerranée, à Grasse ou à Cassis, pour distiller la couleur comme Coty distille les parfums des jardins.

D'autres encore, saisis par la colère, vont bien plus loin , jusqu'en bas de l'Italie, et en rapportent des forêts sombres avec de la terre claire.

 

Au fond, il s'agit peut-être d'un besoin physique. Le corps, la chair, la nature réclament leurs droits. Le cubisme consistait à fondre les objets, pour les ramener à leurs éléments originels. Le cubisme n'était pas un acte d'abstraction (comme on l'a cru en Allemagne), mais une sublimation de l'objet. Quelle flagellation pour la sensualité gauloise ! Mais la géométrie, ce jeu d'échecs avec les lignes et les plans, n'est jamais, elle aussi, que la potentialisation du monde des objets. Proposez à un peintre français le mot " esprit " : il vous rit au nez et vous ferme sa porte à tout jamais ; il a la preuve que vous n'avez aucune notion de ce qu'est la peinture, et que vous n'en aurez jamais. Seul un fabricant de meubles ou un coiffeur peut parler d' "esprit" dans la peinture.

 

Dans le cubisme, il s'agissait d'une purification de la forme. Aujourd'hui les peintres éprouvent un besoin de "vie pure". Après les cogitations sur l'objet élémentaire, un bain de plein air. S'étirer les membres, jouir des choses extérieures : santé. La tête enfouie dans l'herbe humide : éclaboussement de rosée et de couleurs.

 

Chair : la chair veloutée des pêches, la chair soyeuse de nus, la chair rêche des portraits modernes. Sentir cela, c'est le génie de la race. La tradition continue une fausse trace et ne s'égare pas.

 

Même pas cherché dans l'absolu, mais dans l'individu, dans le tout multiforme et partout équivalent. Pas l'objet-standard, mais le type, élevé au rang de symbole. Comme ce fut toujours le cas, d'ailleurs. Le cubisme était un tunnel. A présent ils recommencent à voltiger le long des prairies, des mers, des villes. Ils peuvent à nouveau se réjouir : se réjouir des choses quotidiennes, d'un coin de rue , d'un arbre, d'un beau vieillard. D'un front spirituel. De la chute de cette robe rouge par-dessus une épaule. De la chasteté d'un genou. De l'élan qui emporte un corps, des cheveux jusqu'aux orteils, dans une nuée multicolore. De la dynamique d'un bras courbé. De la révolution des petits bouleaux sur une colline, De la vie .

 

Est-ce beaucoup ? Est-ce peu ? L'art, c'est la joie. (depuis combien de temps ne l'était-il plus ! ) Joie du créateur. Joie du contemplateur.

 

 La couleur est l'élément. Couleur du rythme, couleur du timbre. La transparence d'un vert. La prose mat de la sépia. La trompette du cinabre. Sans couleur, un tableau est mort : mort-né.

 

 Ainsi se définit un nouvel avenir dans la peinture de 1923.

 

 

George Grosz par Yvan Goll  dans « 900 »

 "900 "- Cahiers d'Italie et d'Europe -n° 4, Cahier d'Eté 1927 .

 

La brutalité de notre époque pose l'alternative, en dehors de laquelle il n'y a plus rien il faut lui dire Oui ou Non. Il faut se monter le coup, aimer la force pour la force, exalter les progrès du XXe siècle, qui nous firent atteindre aux gaz asphyxiants, il faut trafiquer, peiner, suer et dire : “ c'est la vie ” comme on avale un Amer Picon, il faut devenir boxeur au ministre ou fabriquant de casseroles en aluminium : tout le monde peut y arriver avec un peu beaucoup de bonne mauvaise foi .

Ou bien il faut cracher dessus. Se mettre en dehors. Retrousser les manches de la chemise. Et crier la vérité. Ce qu'il y a de plus redoutable dans le monde : la vérité. Ne plus se leurrer soi-même, prendre une glace de poche et s'y trouver la grimace de l'humanité : tête de mort.

Gare à ceux, qui ne disent ni oui ni non : ils sont condamnés. Ils sont roulés. Ils prêtent leur capital à une société qui n'existe déjà plus, dans la façade cache les écroulements intérieurs, dans la faillite, jamais publique, a été consommée plus de dix fois déjà. Ceux qui ne disent ni oui ni mort se figurent que la Guerre est terminée et que tout va redevenir comme “ avant ” ; et pour ne rien savoir, ils achètent un pyjama et un bonnet de nuit.

Ce qui nous intéresse, c'est la position que prennent les artistes par ces temps de tremblement de conscience de l'Europe. L'exemple est donné par les pays révolutionnés, où les façades croulent comme les barques de la foire, où les tours d'Ivoire son séquestrées et transformés en jetons pour maison de jeux clandestines, où en manches de parapluies pour dames, en cas d'attaques nocturnes.

L'artiste se trouve dans la rue. Il prend vite position. Il est né pour dire Non, éternel Prométhée : Tel fut le cas en Russie. Tel fut le cas en Allemagne.

À une époque aussi sinistre que la nôtre, il n'y avait pas à se tromper. Tout était négatif. Devant tant de mines cadavériques le mot de “ Création ” était presque de l'ironie. Aussi le courant le plus applaudi, inconsciemment, par un public qui ne s'en rendait pas compte, était celui qui disait " Non " tout court à tout ce qui existait.

Nous sommes en Allemagne. Déclic. Novembre 18. L'homme de fer, - qui n'avait plus de chair, l'homme de papier, qui n'avait plus de coeur, l'homme -- ersatz tomba en miettes. Tout l'effort, toutes les victoires étaient vaines. Désespoir. Renoncement. Le Rien. Alors Dada vint. Et il régna pendant un bon mois à Berlin. Disons de suite qu'il avait beaucoup plus de raison d'être là-bas qu'à Paris. L'esprit Négatif était urgent partout. Mais il faut se rendre compte que les dadaïste français ne connaissaient pas leur métier. Il s'affublèrent de monocles, de cravates multicolores, ils écrivirent des manifestes sur papier doré et crurent en imposer à leurs contemporains en disant Zut ! et Merde ! comme tout voyou de faubourg sait le faire. D'une part, leur monocle les firent ressembler terriblement à l'esthète Wilde, qui est pour notre époque aussi pompier qu'on peut l'être. D'autre part, leurs Zuts étaient tellement timides, qu'ils en tremblaient sur leurs piédestaux. Résultat : tout compte fait, on ne sut pas qui était le véritable imbécile : du public qui venait les écouter, ou de ceux qui n'avait que ces interjection sur les lèvres.

Les Dadas berlinois se fichèrent carrément de la société. Il ne dire pas non pour avoir une attitude glorieuse et pour faire parler la presse et citer leurs noms, ce qui, à Paris, rapportait de nombreuses coupures de l'Argus, unique désir ; à Berlin, ils giflèrent le passant, ils s'attaquèrent à la brute et firent une révolution qui compte.

George Grosz a été un chef des dadas allemands. Son oeuvre compte dans l'histoire de l'art de son pays. Il est le Daumier de sa génération, mais comme celle-ci, cent fois plus amer, plus méchant, plus sarcastique, plus brutal et plus agressif. Que faut il pourrait être révolutionnaire ? Il suffit d'avoir du bon sens et de connaître la bêtise et la misère des hommes. Il suffit de s'asseoir dans un café berlinois et noter sur sa manchette les crânes appauvris, les rictus hébétés, les sourires équivoques des Européens qui se disent les pasteurs de la Kultur. George Grosz l'a fait et il a collectionné des silhouettes qui éternisent la brute prussienne, dans toutes les attitudes : l'officier au profil émacié, fier des cadavres à la santé desquels il vide sa coupe de Champagne ; l'honorable bourgeois, qui par-dessus la table parle de coton ou de bible, et sous la nappe, d'une main moite, fouille les jambes nues d'une cocotte ; l'amant sentimental, assez riche pour se payer de la nostalgie, cachant sous son veston le revolver gentiment posé près du coeur, et un squelette maladif dans le dos. En tournant des pages des albums de Grosz, nous entrevoyons un formidable sabbat déclenché, non dans quelque antre caché, mais là, devant nous, à chaque coin de boulevard, devant chaque table de café, dans chaque magasin transformé en bordel clandestin.

La “Danse de mort ” de Dürer est moins triste que cette danse de la vie pleine des grimaces de femmes que nous côtoyons tous les jours et des masques de brutes qui ressemblent affreusement à nos maîtres d'hier. Les dessins de Grosz, si comiques soient ils, nous prêtent à rire à la première minute, mais par la suite ils nous effrayent, et au fur et à mesure que nous tournons les pages, une obsession s'empare de nous, qu'il est impossible d'oublier.

S'il y a un artiste qui accuse notre façon de vivre, c'est bien George Grosz. S'il y a un homme qui a découvert les tares de notre société et les a montrées systématiquement, sans sourciller et sans craindre l'explosion de colère et surtout de honte, c'est bien George Grosz. S'il y a un document qui nous révèle l'âme “ boche ” jusque dans ses profondeurs les plus abjectes, ce sont ces cahiers de dessins, qui ne prétendent pas être du grand art, de la composition géniale, de la création surhumaine : mais qui simplement s'exercent à démasquer la racaille sociale qui dévore l'Europe moderne.

George Grosz est encore très jeune. Mais il était encore bien plus jeune, il y a dix ans, et des critiques le proclamait déjà le nouveau champion d'un art inconnu. Grosz a l'étoffe de ce qu'on nomme un grand artiste. Dans ses oeuvres d'avant-guerre, où il s'était créé une manière toute personnelle, toute infantile, et où il nous montrait déjà la face de nos villes modernes, des gratte-ciels américains, des boulevards apocalyptiques, avec une imagination et une puissance de mouvement et d'évocation rares, ils se révélait parfois mélancolique, subtil et hautement poétique, plaçant au-dessus des bouges d'ivrognes, les rues prostituées et des maisons hantées du malheur social, des étoiles souriantes et des demi-lunes pleines de promesses et d'espoir.

Ces promesses et ces espoirs ne se sont jamais réalisée. La guerre vint, la paix suivit. Que s'est-il passé ? D'aucuns l'ignorent, mais il y a en a qui ne dorment pas et qui attendent l'aurore avec le revolver sous l'oreiller, hantés de visions insupportables ; ils deviennent comme George Grosz, des révolutionnaires, en art et en fait, et à présent par l'image et par la parole ; un miroir cassé (leur arme unique) tremblant entre leurs mains, ils vont montrer à leurs contemporains la face véritable de l'époque, et ils parviennent à engendrer la honte, la honte féroce. Si ce qui se regardent dans ce miroir se cachent la face, ils vaincront, ils auront raison du mauvais esprit. Hélas ! L'Allemagne est loin de le reconnaître. N'a-t-elle pas traîné Grosz et ses amis devant les tribunaux, pour “ outrage à l'armée ” ? On poursuit Grosz ? Mais tant mieux aussi : c'est que la bête est touchée. Le sanglier saigne de toutes parts. Et ses taches de sang poisseux seront un jour les signes auxquels on reconnaîtra la route qui mena à des ténèbres à la clarté.

George Grosz, on le saura un jour, a plus fait pour la révolution allemande que n'importe quel politicien.

Ivan Goll. 1927

 

Le Réisme

 

11 janvier 1928 : Lettre d'Ivan Goll à Gaston Picard

  Paris 11 - I - 28

 Mon cher Gaston Picard

 

 Votre enquête me touche de trop près pour que

je n'y réponde pas :

 

 Le Surréalisme !

 Parce que ce terme a été inventé par Apollinaire

qui le premier a pressenti, avec ses antennes sensibles

la destinée de notre époque

 Parce que ce terme désigne les deux courants

les plus caractéristiques, quoique les plus opposés, de

notre vie intellectuelle : l'un conduisant vers

l'inconscient ou le subconscient, en conformité

avec les récentes théories médicales et psychologiques

l'autre, au contraire, vers le superconscient, en

écoutant les préceptes de la science, de la

technique et de l'art modernes, avec le but suivant :

créer, par le truchement de l'œuvre d'art, une

réalité surréelle, en extrayant la substance éternelle,

le sentiment standard, de la chose quotidienne,

de la réalité factice et fugitive, qui, à l'état brut,

" photographiée ", n'avait conduit qu'au réalisme infécond.

 Bien cordialement votre

 Ivan Goll

 

25 novembre 1940 double de la lettre de Goll à Nicolas Calas ***

 136 Columbia, Heights Main - 5 - 0475   Brooklyn , N Y.

 Nov. 25, 1940  

 Mon cher Calas,

 

 Selon ma promesse, je vous envoie aujourd'hui un

des trois volumes de " Jean sans Terre" , et quelques

nouveaux poèmes écrits récemment.

 L'auteur clairvoyant des " Foyers d'Incendie " n'a

pas besoin de commentaire. Je voudrais cependant lui

exprimer mon accord profond avec la plupart des thèses

qu'il défend . Pour m'en tenir à un domaine restreint ,

vos conclusions sur "l'objet dans l'art" m'ont particu-

lièrement enthousiasmé.

 Surréaliste, vous faites l'apologie de l'objet.

Cela rétablit bien des vues presbytes ou myopes.

Puisque vous parlez du "chosisme" laissez-moi vous

parler d'un essai que j'ai écrit il y a quinze ans,

et que je n'ai jamais publié, parce que fatigué des

"ismes" , et parce que tout seul , le surréalisme dé-

ployant tous ses drapeaux.

 Cet essai traitait du "Réisme", dérivé de "res"

par opposition au "réalisme" , dérivé de "réalité"

( et par conséquent aussi du "surréalisme " de cette

époque) et se proposant la recherche de l'objet nu,

l'objet‑type, l'objet unique : moule du créateur .

Cette recherche devait être réservée à d'autres temps.

 

Vous êtes le premier , mon cher Calas, à apprendre

l'existence du" Réisme ". Ce n'est peut-être pas une

grande découverte. Elle eût été mieux à sa place à

quelque' autre époque. Et d'ailleurs, je ne vous la

livre qu'en passant, pour justifier ma poésie qui n'est

pas une poésie de nuit, mais une poésie de jour, qui

doit plus à la chimie qu'à l'alchimie. Mais qui oserait

jouer l'une contre l'autre ?

 Je suis très curieux de connaître votre réaction

 Sincèrement vôtre

SDdV 

 

Combat 9ème année n°1760 du Jeudi 2 Mars 1950 : p.2.

 

Le 12 janvier dernier, Yvan Goll, dont nous avons annoncé hier le décès et qu’on enterre ce matin, à 10h. 30, au Père-Lachaise, m’écrivait de l’hôpital américain de Neuilly où il venait de subir sa dixième transfusion de sang: 

"J’ai eu l’occasion d’écrire un peu ici, et notamment une théorie poétique' "manifeste" serait un trop grand mot ! ) basée sur de longues recherches et sur mes poèmes récents. J’aimerais en discuter avec vous et, en cas de complications, vous faire le dépositaire de ces pensées."

 

J’allai voir Yvan Goll qui supportait stoïquement sa terrible maladie de l’issue de laquelle il ne doutait guère. Du pré-surréalisme dont il était parti, il aboutissait à une conception nouvelle de la poésie, issue des choses et non du poète. Il me remit les notes qui suivent — M. N (Maurice Nadeau):

 

Le "Réisme" naît de l’objet absolu par Yvan Goll: 

Pour exprimer l’essence de la vie, pour être vie, la poésie doit émaner de la Chose en soi, le Ding an Sich, le RES ; être la fleur directement reliée à sa racine.

Cette racine est RES, et non realitas. C’est l 'Objet en action, non la réalité, telle que le poète ou l’artiste la voit, la pense ou la rêve.

La Poésie surgit-elle du Verbe ou de l 'Objet ?

Surgie du Verbe seul, la poésie reste dans le domaine de la rhétorique, de la grammaire, de l’artifice créé par l’homme lui-même.

 "Au commencement était le Verbe"? Le Réiste dira plutôt: "A la fin était le Verbe", après une longue et patiente métamorphose qui, dans le poète ou l’artiste, transforme l'Objet en Verbe, en oeuvre d’art.

Réalisme, surréalisme, réalité nouvelle sont dérivés de la Réalité, de la vision des choses.

Réisme, que nous proposons comme théorie de base, naît de l'Objet absolu.

Rilke disait: "Restez devant ! Regardez l'Objet jusqu’à ce que vous l’ayez dévoré ! "

Le Réiste dit: "Entrez dedans ! Intégrez-vous à l'Objet, devenez cet objet jusqu’à ce qu’il vous ait dévoré ! "

S’il est exact que la vie est créée par une énergie se renouvelant sans cesse, énergie que les peuples ont appelée Dieu, le poète doit serrer le RES d’aussi près que fait le croyant quand il réussit à s’intégrer l’essence et jusqu’au nom de Dieu.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


[1] Dans le Volume XVI p.103 à 105, article de Marinetti qui cite les poètes français contemporains: 

 "Nicolas Beauduin, P. Albert-Birot, Blaise Cendrars, J. Cocteau, P. Dermée, F. Divoire, Drieu La Rochelle, Valery Larbaud, Henri Martin Barzun, Alexandre Mercereau, Paul Morand, P. Reverdy, A. Salmon, Max Jacob, Ivan Goll,  auteur des 5 Continents, H. de Montherlant, Marcel Sauvage Supervielle, Géo Charles, Marcello Fabri, Malespire, Soupault, Aragon, Breton et Tzara. "

[2] p.63: "… Et dans la farce, Crommelynck: Le Cocu Magnifique ; Jean Cocteau: Les Mariés de la Tour Eiffel ; Henri Strenz: Le Théâtre de Hans Pipp ; P.A. Birot: L'Homme coupé en Morceaux ; Ivan Goll: La Chaplinade, Mathusalem, Assurance contre le Suicide ; Adolphe Orna, etc.…"

p.69 " La Chaplinade d'Ivan Goll pour être représentée demanderait à coup sûr l'étroite collaboration du cinéma …Les oeuvres d'Ivan Goll suivant l'humeur de la lecture pourraient être baptisées poésie aussi bien que Théâtre. "

 

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